19,50 € / 464 p
Hachette : 30 1122 1 / ISBN : 978-2-8246-0568-5
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La suite de « La Cour Des Poisons » …
Versailles, juin 1674. Pour célébrer sa conquête de la Franche-Comté, Louis XIV donne de somptueuses fêtes tout au long de l’été dans les merveilleux bosquets du parc. Mais que ce soit dans les recoins du château ou dans les entrelacs des jardins dessinés par Le Nôtre, les intrigues ne cessent jamais. Philippe Caumont de Volanges et ses proches sont confrontés à des événements étranges, notamment des morts aussi violentes qu’inexplicables. Un monde de ténèbres semble envahir peu à peu le royaume de France. Des hommes et des femmes passés maîtres dans l’art de composer de redoutables poisons sortent de l’ombre. De véritables « artistes » de la mort qui font trembler les plus hauts personnages de France. Philippe va devoir les arrêter avant qu’il ne soit trop tard…
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Le troisième et dernier Opus de cette trilogie est chez l’éditeur. Malheureusement le contexte sanitaire ne permet pas la sortie dans les meilleures conditions du roman …
Extrait :
30 juin 1674,
Versailles…
L’onde mutine badinait en clignant avec le soleil.
Alanguie sur une moisson de blés d’or, Cérès recevait l’hommage
d’une biche altérée. Les charmilles verdoyantes berçaient les
allées de leur doux frémissement, sous le murmure parfumé des
parterres en fleurs.
Soudain le joyeux pépiement des oiseaux s’interrompit ; la biche
dressa les oreilles, et détala.
Un grondement diffus, une clameur, bientôt des éclats de trompettes,
des roulements de tambours s’élevèrent dans le lointain. Puis le
tumulte s’amplifia ; des cris de liesse, des acclamations se mêlèrent
au martèlement des sabots.
Sa Majesté Louis le Quatorzième s’en revenait victorieux de la conquête
de la Franche-Comté. Besançon, Dole, Gray, Salins… tous s’étaient
inclinés en quelques semaines devant les puissantes armées du Roi de France.
Après un premier séjour à Dijon, puis à Beaune, la Reine et les dames
avaient rejoint le Roi à son campement dont celui-ci leur avait fait
les honneurs, parmi les morts, les blessés et les témoignages encore visibles
des derniers combats.
Enfin, à la Saint-Jean, la Cour s’était mise en route, faisant une brève
halte à Fontainebleau, dans l’impatience de son royal maître à retrouver
son cher Versailles.
Sa Majesté brûlait de vérifier l’avancée des travaux, aussi ne prit-Elle point
la peine de changer d’habits à son arrivée, entreprenant de faire le tour
de son château sitôt qu’Elle en eut foulé les pavés, accompagnée de
Monsieur Colbert, surintendant des Bâtiments.
En dépit de leur grande fatigue
et la tentation de s’aller délasser dans une chambre digne de ce nom, les
courtisans n’eurent guère d’autre choix que de suivre.
Le regard de Philippe Caumont de Volanges se portait moins sur les merveilles
architecturales de Monsieur d’Orbay que sur une nymphe, dont la fine silhouette
nimbée de soie couleur d’aurore ondoyait gracieusement parmi les fleurs.
– Un pas de plus sans regarder devant vous et vous finirez sous peu dégoulinant
aux pieds de Latone… s’amusa le duc de Montausier.
– Cela deviendrait-il une tradition ? renchérit malicieusement Henri
de la Merleraye, apercevant au loin la jeune Anne-Louise de Giraï.
– Au risque de vous décevoir, Messieurs, je veillerai à ne point vous
donner ce plaisir, mais je vous sais gré de tant de prévenances à mon égard !
acheva Philippe sur le même ton de plaisanterie.
– Nous vous le devons bien, intervint Philippe d’Orléans qui n’avait rien
perdu de la conversation. Songez qu’à cette heure, sans votre présence d’esprit
qui nous fit, dans un passé récent, nous jeter à terre, hélas sans ménagement
aucun pour nos beaux uniformes, nous serions probablement morts, ou, au mieux,
estropiés !
– Vous eussiez fait de même, Votre Altesse, si de votre place, vous eussiez
aperçu l’éclair précédant le boulet visant notre direction.
– Certes… répondit Monsieur, qui regrettait peut-être en son for intérieur
d’avoir laissé échapper cette occasion de se distinguer sur le champ de bataille.
Mais il l’abandonnait cependant de bon gré au comte de Volanges, à l’égard
duquel il nourrissait une profonde estime.
Au grand soulagement des courtisans, le Roi abrégea sa promenade au bassin de
Latone, se bornant à admirer la grande perspective qui s’étendait jusques aux
confins du Canal et à remettre à plus tard la visite de ses jardins.
– Sa Majesté paraît fort satisfaite des derniers arrangements réalisés durant son
absence, fit remarquer Madame de Vivonne à Madame de Vitry. Versailles embellit
chaque jour davantage L’intéressée, sans doute épuisée par les désagréments du
voyage, avançait avec une lenteur toute majestueuse.
– Ne dirait-on pas que l’air de Bourgogne a profité à notre Athénaïs ? demanda
Madame de Vitry d’un ton faussement innocent.
– Sa taille semble avoir quelque peu épaissi… Sans doute la nourriture de ces
contrées n’y a-t-elle pas peu contribué… ironisa Madame de Vivonne.
– Et bien, Mesdames, qu’étiez-vous en train de comploter ? s’enquit Philippe d’Orléans,
qui s’approchait d’elles, précédé du scintillement des boucles de diamants ornant
ses chaussures.
– Nous gagions que l’été qui s’annonce allait sans doute nous réserver quelques surprises…
– En pourrait-il être autrement quand Sa Majesté, s’en revenant couronnée de lauriers,
apprend dans le même temps la victoire de Monsieur de Turenne à Sintzheim ?
Toutes trois esquissèrent un sourire empreint de sous-entendus avant que d’approuver
le frère du Roi avec force propos passionnés.
Les courtisans regagnèrent enfin leurs appartements, chambres ou galetas confiés aux
bons soins de leurs domestiques qui les avaient diligemment précédés.
Deux bassines d’eau parfumée à la rose attendaient Anne-Louise, afin que celle-ci
ne se ressentît plus des désagréments du voyage.
Marie achevait de défaire les malles tout en observant sa maîtresse du coin de l’œil.
Sans doute Mademoiselle de Giraï songeait-elle à ces rares instants où elle avait
eu l’heur de croiser le comte de Volanges, d’échanger quelques regards complices,
un sourire ou un frôlement de main. Les cieux s’étaient montrés plus favorables
pour elle, la petite Marie, qui avait retrouvé son cher Ambrosiano, quand la fumée
des canons se dissipant annonçait quelques heures de répit.
On toqua doucement à la porte. Une grande femme brune, Mademoiselle des Œillets,
apparut dans l’encadrement :
– Madame de Montespan vous mande sur-le-champ…
La suivante détailla furtivement l’intérieur de la chambre, baissa les yeux et
disparut aussitôt sans attendre de réponse.
– Croyez-vous qu’elle va… recommencer ? s’inquiéta Marie.
– Hélas ! Que pouvons-nous connaître de ses desseins ? Le chien auquel Ambrosiano
fit boire le breuvage destiné à Madame de Montespan est bien mort, mais peut-on en
imputer la faute à cette femme qui l’avait préparé ?
– Il est vrai que l’animal a pu mourir de sa belle mort après avoir vécu une vie de
misère, songea Marie.
– Il est vrai aussi que si poison il y eut, il put être versé dans la boisson à l’insu
de Mademoiselle des Œillets.
– Il est étrange et rassurant à la fois que rien ne se produisit lors de notre séjour
en Bourgogne. Madame de Montespan semble se porter à merveille !
– Puisse Dieu la protéger… dit Anne-Louise. – Elle… et l’enfant qu’elle porte…
– Pour l’heure, Marie, nul ne doit savoir…
– Que Mademoiselle se rassure, je sais me taire. Mais à présent, il vous faut vous hâter.
Prestement, Marie aida Anne-Louise à ajuster ses habits, sans omettre de parer son cou
gracile d’un certain fil de perles offert par le Roi…
***
A l’auberge de la Croix-Blanche…
A peine retirée du foyer et posée sur la table, la généreuse tourte de pigeonneau
exhala un soupir d’aise par le petit trou du dessus, avant que de s’affaisser
gentiment dans la terrine brûlante au collet de pâte noircie. La grosse lame du
couteau s’y enfonça moelleusement, libérant des fumets de viande parfumée aux
pointes d’asperges, champignons, lard et béatilles rissolées. Le savant mystère
d’une liaison avec des œufs, épices et jus de rôt s’était répandu dans le
secret de la terre vernissée qui les contenait, sous la pâte dorée qui les recouvrait.
Ambrosiano ne put s’empêcher de se pencher au-dessus de la dive tourtière,
fermant les yeux et humant gourmandement.
– Portons au Royaume de France ! proposa Henri.
– Et à notre Roi victorieux ! renchérit Philippe.
– A vous dire le vrai, je ne suis pas mécontent d’être rentré, dit Ambrosiano, qui
entreprenait son assiette de bon cœur. Nous allons enfin poursuivre ce que cette
campagne nous avait contraints d’interrompre.
– Grâce à la vigilance d’Anne-Louise et Marie, nous savons que nul méchant dessein
ne s’est exercé contre Madame de Montespan, durant son séjour bourguignon, précisa
Philippe. Les clientes de cette sorcière de Filastre se sont sans doute retrouvées
désarmées loin de Paris. Mais que dire de Claude des Œillets qui avait tout loisir
d’approcher la favorite ?
– Nul doute que si complot il y a, elles ne tarderont pas à reprendre leur commerce,
chacune suivant son intérêt propre, conclut Henri. Nous pouvons compter sur nos deux
amies pour nous prévenir au moindre soupçon.
– Nonobstant tout, mon pauvre Ambrosiano, reprit Philippe, tu n’échapperas pas à de
nouveaux essayages de robes et affiquets… Le quartier de Bonne-Nouvelle n’aura
bientôt plus de secret pour toi. Mais comment se procurer des hardes de noble dame
qui puissent convenir à ta personne ?
– Marie m’a laissé entendre qu’elle avait sa petite idée là-dessus.
– Bien, faisons lui confiance. Cette demoiselle possède un esprit des plus vifs et ne
s’en laisse pas conter ! Gageons que tu te retrouveras transformé sous peu ! dit
Philippe, dont les grands yeux sombres riaient sous les boucles brunes qui les entouraient.
– A propos… lâcha Henri, qu’en est-il de cette jeune personne dont nous fîmes la
connaissance peu avant notre départ ?
– Vous voulez sans doute parler d’Elisabeth d’Antinois, dont la sœur eut l’infortune
de mourir empoisonnée à la cour, peu après notre arrivée au royaume des Lys ?
– Elle même… murmura Henri, baissant ses beaux yeux noisette.
– Madame de Montespan lui avait offert de revenir sitôt après que celle-ci aurait
visité des parents éloignés en province.
Elle l’accueillit sur le chemin du retour, quand nous eûmes quitté Fontainebleau,
répondit Philippe.
– Je l’ai en effet aperçue dans le sillage de la favorite. Si j’en juge par son
attitude distante, elle ne semble guère à son aise parmi les autres dames, lesquelles,
d’ailleurs, feignent de ne lui accorder aucune attention, dit Henri sur un ton où
perçait une pointe de regret.
– N’oubliez pas qu’elle est italienne et ne sait pas la Cour. En outre, toutes ignorent
pour l’heure la place qui lui sera réservée, si toutefois elle est appelée à rester
parmi nous… conclut Philippe.
– En attendant, mangeons ! lança Ambrosiano.
– Que veux-tu manger de plus Ambrosiano… A ton avis, la tourte aurait-elle fondu
toute seule dans ton assiette ?
Ambrosiano considéra celle-ci, désespérément vide. Sa mine consternée déclencha un
grand éclat de rire parmi ses compagnons de table, mais très vite son regard affriandé
croisa un plat d’artichauts fricassés que l’on venait de retirer de la cendre chaude.
Ses grands yeux de jais les dévoraient déjà, ne les perdant pas de vue, jusqu’à ce que
les deux gros carrés de lin qui maintenaient le plat en terre vernissée le déposassent
enfin sur la lourde table de bois.
Thomas Hébert, le tenancier, sut leur témoigner tout le contentement qu’il avait de
retrouver ses chers commensaux en leur offrant une bonne flasque de Beauzet, des coteaux
de Montfermeil, au bouquet digne d’un grand cru de Bourgogne.
***